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Réflexions d’un Avocat devenant Médiateur - Quels sont les avantages de recourir à une médiation ?

Auteur : HAMELIN Audrey
Publié le : 11/01/2021 11 janvier janv. 01 2021

Un Avocat est un Auxiliaire de justice dont la mission consiste à assister et à représenter en justice une personne qui se présente à lui et à défendre ses intérêts devant les différentes juridictions. Avocat depuis quinze ans, le Conflit est mon quotidien.
C’est un paradoxe d’affirmer que défendre au mieux les intérêts d’un justiciable passe forcément par une action en justice.

Il arrive fréquemment qu’une instance (1), même dont l’issue est favorable, ne soit satisfaisante ni pour le client ni pour moi.

La justice actuelle présente de nombreux inconvénients, notamment sa durée, son coût moral et financier et l’aléa qui lui est attaché.

Elle a aussi ses limites.

En m’inscrivant à ce Diplôme Universitaire, je poursuivais pour ma part deux principaux desseins, celui d’exercer ma profession autrement et celui d’exercer une autre profession.

 
  • Sortir du système gagnant-perdant
Pour un Avocat, gagner un procès est une victoire et le perdre est une défaite.
Si l’Avocat gagne son procès, son client pensera, peut-être, qu’il a un bon avocat mais pensera surtout qu’il a « un bon dossier ». Si le client perd son procès, c’est que son avocat aura mal fait son travail.

Proposer et faire réussir une médiation, en qualité d’Avocat Conseil d’une partie, me permettra de sortir du système gagnant-perdant, de fidéliser et de conserver mes clients en leur apportant de vraies solutions efficaces et pérennes.
 
  • Gagner du temps, réduire les coûts et les risques
Les instances sont longues, les procédures complexes et il n’est pas rare pour un Avocat de se réveiller la nuit parce qu’il a peur d’avoir raté un délai ! 
Tous ces échanges de conclusions, d’actes et de pièces nécessitent une organisation bien rodée et un secrétariat compétent.

J’emploie à l’heure actuelle 3 secrétaires et un avocat et travaille entre 45 et 55 heures par semaine.

J’éprouve des difficultés à facturer certaines de mes diligences qui sont pourtant nécessaires et réalisées, de sorte que certaines des procédures que j’initie sont « à perte » lorsqu’elles durent trop longtemps.

En effet, lorsqu’un avocat facture 500 euros TTC, il perçoit un revenu net de 147,92 euros (2). 
J’ai souvent l’impression de perdre mon temps, alors que cette donnée précieuse pourrait être consacrée à ce qui compte vraiment et à ceux qui comptent vraiment, les membres de ma famille.

Régler un différend en économisant du temps, des charges, et en limitant le risque d’engager sa responsabilité civile professionnelle par le biais d’une médiation ne présente que des avantages.

Des honoraires convenables pourront tout de même être facturés, pour l’assistance lors de la médiation et la rédaction éventuelle d’un protocole et le client sera satisfait du résultat qu’il aura lui-même choisi. 
 
  • Exercer différemment ma profession
Je suis lassée du Conflit, de ces procédures qui exacerbent les différends, qui amènent les parties et leur Conseil à faire preuve de mauvaise foi et dont l’issue est toujours incertaine.
Je suis lassée d’être malmenée par des confrères, des magistrats de mauvais poil ou des clients qui passent leurs nerfs sur moi à défaut de pouvoir le faire sur leurs adversaires ou sur le Juge.

Une médiation commencée, même si celle-ci n’aboutit pas, aura à tout le moins l’avantage d’avoir rétabli un certain dialogue entre les parties, et de permettre des échanges plus apaisés, même si la phase judiciaire est inéluctable.
 
  • Exercer une autre profession
Enfin, j’ai aussi envie d’exercer une autre profession, et de devenir cet élément de neutralité dans le différend, d’être un vecteur de parole, une aide à la détermination de la solution par les parties elles-mêmes.
  Le constat : Justice traditionnelle inadaptée et solutions méconnues 
Je travaille au quotidien avec des petites et moyennes entreprises du secteur de l’industrie, des entrepreneurs du bâtiment, des commerçants.

Dans la plupart des cas, la justice traditionnelle ne répond pas à leurs besoins, mais pire, que le professionnel gagne ou perde son procès, il y laisse des plumes.
  Les écueils de la justice traditionnelle   
  • La durée

Les tribunaux sont engorgés. 

En 2017 (3), c’est près de 2 millions de nouvelles affaires qui ont été introduites devant les Tribunaux de première instance français (4).     

Il n’est pas rare que l’issue d’un procès ne soit connue que plusieurs années après avoir été soumise à une juridiction.

Sans compter qu’il est possible d’introduire un recours contre une décision rendue en première instance devant la Cour d’Appel (5), puis d’introduire un pourvoi devant la Cour de Cassation (6) et que quelquefois la réalisation d’une mesure d’expertise judiciaire retarde de plusieurs années l’issue d’une procédure.

Dans le domaine de la construction, il n’est pas rare de voir un chantier s’interrompre pendant plusieurs années, le temps que la justice détermine lequel des entrepreneurs intervenus a mal réalisé sa prestation et a généré des désordres.

Pendant ce temps, le matériel de chantier (échafaudages, bâches, baraquements…)  demeure sur place, le coût des matériaux augmente, la structure se détériore, les artisans, même non fautifs, ne sont pas payés.

Malheureusement, dans certains cas, il arrive même qu’avant la fin du procès certaines entreprises aient déposé le bilan et ne puissent donc finir les prestations qui leur avaient été commandées.

En se tournant vers les tribunaux, les justiciables recherchent une solution, une réponse rapide, et ne l’obtiennent pas.
 
  • L’énergie et le temps dépensés

Pendant ce temps, parfois très long, les parties au procès se démènent pour apporter la preuve du bien-fondé de leur position, recherchent des documents, des témoignages, assistent à des expertises, rédigent des observations sur les conclusions adverses, prennent connaissance des conclusions de leur Avocat, demandent des modifications, se déplacent en rendez-vous, prennent du temps sur leur vie professionnelle pour « nourrir » le procès et se fatiguent.

« Dessaisies » de leur propre affaire, les parties en perdent la maitrise.

Le conflit est réduit à un litige, étroitement encadré dans une procédure déterminée, un vocable particulier bien loin des enjeux du quotidien pour ces entrepreneurs.
 
  • Le coût financier

Un procès a un coût. Celui de la rémunération des auxiliaires de justice (Avocats, Huissiers, Experts…), celui du temps consacré, et celui des conséquences de la décision (réparation du préjudice, intérêts légaux, perte de chiffres d’affaires, difficultés de trésorerie…)

Dans un dossier dans lequel deux professionnels de l’automobile s’opposaient sur l’origine du disfonctionnement d’un véhicule appartenant à un particulier, lequel aurait pu être réparé pour un coût de l’ordre 800 euros, le « perdant », se verra condamné, aux termes de 5 ans de procédure, à la prise en charge du coût de l’expertise judiciaire, ( 3.500 euros), celui de son avocat (2.000 euros), celui de l’avocat adverse (1.500 euros), les dépens ( frais d’huissier, droit de plaidoirie…), le cout de la remise en état complète du véhicule immobilisé depuis le début du procès en ce compris le changement de toutes les pièces d’usure, (pneus, filtres, batterie…) et le cout de stationnement du véhicule ( 12 €/jour).

Le coût généré par la procédure est susceptible d’entrainer une cessation de paiement pour l’entreprise condamnée.
 
  • L’aléa judiciaire et les limites d’une décision

L’engorgement des juridictions génère une surcharge de travail chez les magistrats dont certains considèrent qu’elle leur impose de sacrifier la qualité de leur travail. (7)

Selon une enquête réalisée par le syndicat de la Magistrature, une grande majorité de magistrats (78,25 %) déclare que la charge de travail a un impact sur la qualité de son travail.  

Par ailleurs, la justice ne résout pas forcément le problème posé, elle règle le contentieux mais non la relation conflictuelle. Elle tranche entre deux positions et laisse un vainqueur et un vaincu.

Le perdant peut vouloir « se venger » et le gagnant s’enorgueillir de la décision rendue, en la rendant éventuellement publique. Ce qui est certain, c’est qu’un jugement ne génère aucun apaisement entre les parties et marque la fin de leurs relations commerciales.

Dans le cadre d’un litige opposant un fournisseur de machine à laver industrielle à une laverie hospitalière, le premier juge a déclaré le fournisseur responsable du disfonctionnement alors que l’Expert avait mis en cause un autre professionnel. Le fournisseur a arrêté de livrer des produits lessiviels nécessaires au fonctionnement des autres machines et rompu les contrats d’entretien desdites machines. Un article de journal est paru dans la Presse locale relayant la condamnation du fournisseur alors que le litige a été porté devant la Cour d’Appel et que la condamnation n’est pas définitive.  

Cette décision que le fournisseur ne comprend pas car l’Expert n’avait pas retenu sa responsabilité a définitivement mis un terme aux relations entre les deux anciens partenaires.
  La méconnaissance et la méfiance face à la médiation
Depuis de nombreuses années, le législateur, sous l’influence de l’Union Européenne,  introduit en Droit français les Modes Alternatifs de Règlement des Différents (MARD), quitte à contraindre les parties à y recourir (8), pour essayer de pallier aux inconvénients de la justice traditionnelle.

Pourtant, les MARD et la médiation en particulier demeurent des procédés peu usités.
Le CMAP (Centre de médiation et d’arbitrage de Paris) et le Club des juristes ont procédé à une quarantaine d’auditions d’acteurs du monde de l’entreprise, du droit et de la justice, pour en comprendre les raisons. 

« Ainsi, déjà en 2008, Jean-Claude Magendie, alors Premier président de la cour d’appel de Paris, relevait que la « médiation était loin d’avoir connu le succès escompté » et, avouant sa perplexité, il ajoutait : « C’est une interrogation que celle du succès mitigé de ce mode alternatif de règlement des conflits qui apporte un peu d’humanité dans un déroulement parfois kafkaïen des procédures alors même que l’ensemble des professionnels de la justice s’accorde à en saluer les mérites. 

Ces propos visaient la médiation judiciaire, mais ils auraient pu s’appliquer aussi bien à la Médiation conventionnelle.

Plus de dix ans plus tard, le constat n’a pas changé, mais avec le recul du temps, cette réalité est encore plus mystérieuse, incompréhensible, voire choquante en raison des efforts constants qui ont pu depuis être déployés par les pouvoirs publics et les acteurs de la sphère juridique, sans oublier la pédagogie déployée par les meilleurs centres de médiation pour en assurer la promotion. (9) »

Les auditions menées notamment auprès des chefs d’entreprise dans le cadre de cette étude ont fait ressortir une large méconnaissance de l’existence de la Médiation comme moyen de règlement des litiges du droit des affaires. 

Les dirigeants rencontrés connaissent les médiations avec les consommateurs, parfois celles concernant les délais de paiement ou bien encore la médiation familiale en matière de divorce. 
La Médiation dans l’univers des affaires souffre en revanche très clairement d’une méconnaissance, tant de son existence même que de ses principes. 

Les ‘enquêteurs’ ont constaté que dès qu’ils expliquaient la Médiation et mettaient en avant ses avantages, les chefs d’entreprise s’étonnaient de ce que la Médiation ne soit pas proposée de façon beaucoup plus systématique alors qu’elle répond à leurs attentes, notamment en termes de rapidité et de coûts.

Effectivement, l’intérêt du recours à la Médiation pour les entreprises est évident, une fois que l’on sait de quoi l’on parle et comment cela fonctionne.

Rapidité, confidentialité, efficacité, liberté, coût limité, sont les cinq branches de l’étoile de la médiation qui répondent généralement aux besoins des professionnels dans le cadre de leurs litiges entre eux.

En réalité, la Médiation ne souffre pas seulement d’une insuffisance de connaissance de la part des acteurs économiques, premiers intéressés. Elle est également victime d’une insuffisance de reconnaissance notamment – et paradoxalement – parmi les acteurs de la sphère juridique, qui pourraient s’en faire les prescripteurs.

Selon le rapport précité, les magistrats et les juges, notamment consulaires, les avocats, mais aussi les juristes d’entreprise ont, en majorité, une piètre opinion de la Médiation. 
Le constat est donc sans appel, il faut donner envie aux professionnels, aux juges et aux auxiliaires de justice, de découvrir la médiation, d’y avoir recours ou de la proposer.


Index :

(1) Définition : Procédure judiciaire en cours devant une juridiction
(2) Extrait «  transparence sur les honoraires des avocats 2017 » diffusé par le Barreau de NIMES. V. annexe 3
(3) Extrait des Chiffres clés de la Justice 2017 : V. annexe 1
(4) 648.976 nouvelles affaires ont été introduites devant les Tribunaux d’Instance (juridiction statuant sur les litiges entre particuliers ou entre professionnels et particuliers dont l’enjeu financier ne dépasse pas 10.000 euros).960.061 nouvelles affaires ont été introduites devant les tribunaux de Grande Instance (juridiction statuant sur les litiges entre particuliers ou entre professionnels et particuliers dont l’enjeu financier dépasse 10.000 euros). 163.212 nouvelles affaires ont été introduites devant les Tribunaux de Commerce (juridiction statuant sur les litiges entre commerçants ou entre particuliers et commerçants). 149.806 nouvelles affaires ont été introduites devant les Conseil de Prud’hommes (juridiction statuant sur les litiges entre salariés et employeurs).
(5) Cour d’Appel : Juridiction  du second degré chargée de réexaminer une affaire déjà jugée par un tribunal.
(6) Cour de Cassation : juridiction chargée de vérifier la conformité au Droit, des décisions juridictionnelles rendues par les juridictions de premier et de second degré.
(7) Extrait de «  L’envers du Décor- Enquête sur la charge de travail dans la magistrature » par le Syndicat de la Magistrature. Les magistrats qui ont précisé la nature des atteintes portées à la qualité de leur travail relèvent notamment le temps insuffisant disponible pour la réflexion, la recherche juridique et l’actualisation des connaissances, la motivation insuffisante et/ou stéréotypée des décisions, les erreurs dues à une relecture insuffisante, le traitement expéditif des contentieux de masse, le manque de disponibilité pour les justiciables ou la tenue d’audiences insuffisamment préparées . V. Annexe 2 
(8) Extrait de l’Article 56 du code de procédure civile : « Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, l'assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. » 
Extrait de l’Article L612-1 du Code de la Consommation : « Tout consommateur a le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l'oppose à un professionnel. » 
(9) Extrait de « Médiation et entreprise- L’opportunité de l’autodétermination: une liberté créatrice de valeur » Club des Juristes- février 2019.



Cet article n'engage que son auteur.
 

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